Mercredi 29 janvier 2003, sans une seule annonce dans les journaux
généralistes locaux, une cinquantaine de personnes
se présente salle Pétrarque afin d'assister, et
pour quelques unes de débattre, à la rencontre entre
René-Paul Leraton, coordinateur de la Ligne Azur et Eric
Verdier, co-auteur du livre " Homosexualités et Suicide
", délicat sujet que le Collectif aborde pour la première
fois, attaquant de front deux tabous dans une société
qui se veut pourtant 'communicante'. " Déjà,
annonce Hussein Bourgi, président du Collectif contre l'homophobie,
cette rencontre a suscité un grand nombre de mails spontanés
auprès du Collectif ; ainsi cette jeune femme d'Aix subissant
les sarcasmes de ses frères ou ce parisien de 34 ans qui,
ne supportant plus le poids de son secret face à son père
et ses collègues, tente de se suicider par deux fois en
2002. " (Au sortir du coma, il pu réaliser un coming-out
accepté.)
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" Merci Mme Boutin "
René-Paul Leraton, sexologue, enseignant pendant 30 ans,
auteur de l'essai " Gay Porn " (chez H&O), responsable
de la Ligne Azur, relate en introduction le témoignage
d'un jeune gay de 22 ans " jeté par son père
avec ses affaires ". Et de tracer l'historique de La ligne
Azur. Elle est l'une des lignes d'écoute thématique
du dispositif " Sida Info Service ", financée
par la Direction Générale de la Santé. Expérimentée
en 1995, définitivement mise en place deux ans plus tard
et désormais adhérente à l'Union Nationale
de Prévention du Suicide, elle reçoit jusqu'à
8.000 appels/an de 15 à 20 minutes en moyenne dont 60%
sont traités. Si la Ligne Azur draine en majorité
des garçons de moins de 30 ans, elle accueille aussi toutes
les générations, les proches, voudrait accueillir
davantage le public féminin et s'ouvrir aux secteurs professionnels.
Les appelants sont en recherche d'identité (" d'étiquetage
"), en situation de mal-être (culpabilité, comment
le dire
) ou encore dans la solitude. Il s'agit pour les
écoutants de rassurer (" l'identité ne se résume
pas à une pratique, de plus parfois temporaire "),
de réamorcer une estime de soi. Le double-jeu du candidat
au suicide, " dont l'homosexualité est une valeur
ajoutée ", peut mener jusqu'à la schizophrénie
témoigne René-Paul Leraton : " Son identité
sexuelle bouffe tout le paysage (
) Je reste très
prudent face à l'argumentaire-psy, vous savez la fameuse
'phase de l'adolescence' : l'homo-érotisation est réelle
mais que devient le jeune homme qui s'est désespérément
accroché à votre 'c'est normal ça passera'
et pour qui, non, ça ne passe pas au fil des ans
? (
) Vous savez, les acquis sont fragiles, l'histoire montre
que tout recul est possible à tout moment ; le discours
actuel 'Vous êtes tout de même un peu trop visibles'
n'est pas pour me rassurer. Merci cependant aux 'travaux pratiques'
de Mme Boutin, qui ont largement contribués à répandre
le concept d'homophobie. "
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" Etre homo c'est dépravé
"
Eric Verdier, psychologue et psychothérapeute, animateur
de formations autour de questions de santé publique (sida,
suicide, sexualité, toxicomanie
), a co-écrit
avec le sociologue Jean-Marie Firdion l'essai " Homosexualités
et suicide " (H&O) dans lequel ils rappellent que le
suicide, seconde cause de mortalité des 15-34 ans, est
4 à 7 fois plus tenté par les jeunes homos ou bisexuels
masculins, et 40 % plus encore par les jeunes filles lesbiennes
ou bisexuelles. " A deux nous n'étions pas de trop
pour briser le silence et inciter les pouvoirs publics à
se pencher sur le problème, dire à tous, que, oui,
un jeune peut se suicider à cause de son homosexualité,
tout simplement. " Certains pays sont plus prêts à
l'entendre : le Québec en particulier, ayant dû faire
face à un taux important de suicides, mène études
et combats depuis dix ans. " Ne disposant d'aucune étude
en France, nous nous sommes basés pour la première
partie de notre ouvrage sur les constats répertoriés
aux USA et au Canada. Il s'avère que la vulnérabilité
des jeunes gays est extrêmement forte : 30 % des tentatives
a pour cause l'homosexualité. "
La seconde partie, à travers un axe psycho-sociologique,
transcrit l' " histoire de vie " de 13 personnes de
20 à 65 ans (6 femmes de naissance dont une transexuelle,
7 hommes dont un bisexuel) auto-racontée d'ou ressortent
des périodes d'homophobie intériorisée, des
facteurs déclenchants, la vulnérabilité
" Alain par exemple, 45 ans, à deux doigts d'une tentative
lorsqu'il a 17 ans, pose la question de l'annonce aux parents.
Le suicide est une façon de tuer ce que l'on ne veut voir
émerger, et ce que l'on ne peut dire. "
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" Qu'est-ce qui en nous créé
une hiérarchie, une comparaison ? "
La troisième partie tente de définir, dans les différents
champs des sciences humaines, l'homophobie, consciente ou non
(" la violence des laisser-dire ", " veiller à
ce que dans l'écoute ne demeure aucune homophobie passive
"), sa prégnance dans toutes les sociétés
Les trois étapes précédant l'acceptation
de son homosexualité, selon des travaux canadiens biens
connus, sont le dénis (jusqu'à la prise de conscience),
l'homophobie intériorisée (du " c'est pas bien
" découle aux extrêmes " il faut en guérir
" ou " le sexe à tout prix "), puis la solitude
(certes on commence à retrouver l'estime de soi mais "
être homo c'est dépravé "). Ne pas oublier
que c'est la société qui porte les mythes. "
Le juriste discerne 3 formes d'homophobie : l'homophobie active
(dans les mots, les actes, les comportements agressifs revendiqués
parfois avec fierté), l'homophobie passive (ignorer, renier
l'homosexualité. L'absence de réactions des proches
face à l'homophobie fait souffrir l'enfant homosexuel)
et l'homophobie-détournement (C'est la vue hétéro-sexiste
qui reconnaît l'homosexualité à condition
de la récupérer dans son discours).
Eric Verdier propose alors en conclusion une réflexion
plus large : " Nous sommes tous racistes, sexistes (etc.)
par omission. Qui que nous soyons, interrogeons-nous sur 'qu'est-ce
qui en nous créé une hiérarchie, une comparaison'
; combattons dans nos comportements sur les plus vulnérables
ce qui induit la goutte faisant déborder le vase. "
" Un dernier mot sur le pénal : l'objectif n'est pas
de tout pénaliser, mais de pouvoir dire qu'une loi existe,
qu'elle confirme à l'insulté son statut de victime.
"
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" Peu de psys ont un
discours sain"
Une dizaine de questions et témoignages enrichissant la
rencontre a fait notamment répondre aux intervenants :
René-Paul Leraton : " Peu de psys ont un discours
sain sur l'homosexualité -ils ignorent la dimension sociale,
la confrontation à l'homophobie environnementale-, mais
ils sont quand même de plus en plus nombreux à remettre
la 'norme ' en cause. (
) En 1998, les psychiatres, et pas
les plus ouverts, ont repris en main la prévention du suicide
jusqu'alors portée par les associations. (Sur l'annonce
aux parents : ) Nous aidons la personne à décoder,
à voir les perches tendues par les parents -il ne sont
pas tous obtus- et que l'enfant trop absorbé par les siennes,
ne voit pas. Il y a à l'inverse des Coming-out violents
qui sont de vrais règlements de compte. A leur tour les
parents arpentent le chemin suivi par leur enfants : pourquoi
moi, que vont penser les autres... Ils ont besoin de soutien eux
aussi
surtout s'ils sont touchés dans leur propre
homosexualité. (Suite au témoignage d'un religieux
conscient 'des boulets du XVème siècle portés
par les homosexuels' : ) Il y a deux alternatives au sein d'une
famille traditionaliste : considérer la religion comme
un frein -je pense à l'appel d'un jeune maghrébin
apprécié dans sa cité pour ses exploits sportifs
et conscient des risques physiques encourus si 'ça se savait'-
ou l'accepter, tendance David et Jonathan. C'est malheureusement
la moins importante. "
Eric Verdier : " J'élargirais le débat à
l'identité culturelle. Nous avons tous plusieurs identités
accolées, une femme musulmane a besoin d'un espace de parole
spécifique. L'expression de l'affectivité entre
hommes est tabou ; entre femmes c'est moins grave, tant que la
pérennité du nom est assurée (
) "
Sur la question 'la multiplication des modèles (télévisuels)
ne rassurerait-elle pas le jeune homosexuel ?' : " C'est
paradoxal : elle permet aussi à l'homophobie de s'exprimer,
et mure donc encore davantage le jeune dans son silence. "
(René-Paul Leraton annonçant que Thomas du Loft,
qui reçoit un abondant courrier de gens en détresse,
parraine la prochaine campagne d'affichage de la Ligne Azur, pose
ensuite la question : Si Bertrand Delanoë était juif,
en parlerait-on autant ?)
Sur la question de l'éducation :
" Il s'agit de mettre le pied dans la porte, sans faire du
prosélytisme. De former les professionnels. A Marseille
un psy anime en partenariat avec une assistante sociale des groupes
de paroles 'Discrimination et violence' dans les classes de seconde
; l'homophobie est systématiquement abordée par
les élèves eux-mêmes. " " Le médecin
de famille, inéluctablement rencontré plusieurs
fois dans l'année, est un vecteur potentiel primordial."
rappelle une auditrice.
Isabelle, présidente de Angel, association des gays/lesbiennes
de 16 à 25 ans accueillant un panel générationnel
élargissant, témoigne de ses propres interventions
en classes de quatrième, troisième et première.
Hussein Bourgi annonce alors l'opportunité laissée
au Collectif d'animer une campagne de prévention mobile
contre l'homophobie sur une semaine en milieu scolaire et rural,
en partenariat avec une association. Il annonce également
la création d'une antenne de Contact (parents gays et lesbiens)
sur Montpellier (5 parents s'étant manifestés auprès
du Collectif).
Fin de la rencontre (
entraînant une visibilité
médiatique : 'L'Hérault du Jour' emboîtant
le pas au 'Midi Libre' qui publiait dès le lendemain une
interview des intervenants.)
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